Le sommet tenu à Johannesburg marque un tournant historique pour les Brics, avec l’expansion de leur invitation à quatre nations du monde arabo-musulman dans le but de rééquilibrer les forces à l’échelle mondiale.
Les Brics, composés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, ont tenu leur quinzième sommet à Johannesburg du 22 au 24 août, avec pour objectif évident de renforcer leur influence à l’échelle planétaire. Cet événement a été marqué par une nouveauté : 23 pays tiers ont manifesté leur intérêt pour rejoindre le groupe, et six d’entre eux ont reçu une invitation formelle pour devenir membres à partir du 1er janvier prochain. L’analyse des faits saillants de cet événement est proposée par Jean-Joseph Boillot, un économiste expert dans les économies émergentes.
Dans quelle mesure le sommet de Johannesburg marque-t-il un changement inédit dans l’histoire des Brics ? Il représente sans doute un moment crucial pour ce groupe qui, depuis 2011, comptait cinq membres, et qui voit maintenant ses rangs s’étendre de manière significative à onze pays. Au cours de la décennie précédente, les Brics peinaient à s’imposer sur la scène internationale ; ils semblaient plutôt isolés et manquaient d’une influence économique et financière substantielle. Outre cette expansion, cette année met en évidence le rôle prépondérant de la Chine et de l’Inde au sein du groupe, tandis que la Russie s’est retrouvée en retrait en raison du conflit en Ukraine. Même si Vladimir Poutine a tenté d’exercer une influence à distance, sa vision radicale de transformer les Brics en une alternative au G7 diverge nettement de la perspective des quatre autres membres fondateurs du groupe.
De quelle façon les entrants (Iran, Arabie saoudite, Argentine, Égypte, Éthiopie et Émirats arabes unis) ont-ils été retenus ?
Les planificateurs qui ont formulé les critères pour l’expansion ont choisi une approche équilibrée et prudente. Les principaux acteurs financiers qui se distinguent en premier lieu sont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Avec six des dix plus grands producteurs mondiaux de pétrole, les Brics ont désormais une influence notable sur le marché pétrolier global. Ces pays vont rééquilibrer le groupe, où jusqu’à présent la Chine était la seule grande puissance économique et financière. L’intégration de ces nouveaux « piliers solides », possédant d’importantes réserves de change, est accompagnée de l’entrée en force du monde arabo-musulman, incluant l’Égypte et l’Iran. On aurait pu penser que l’Iran serait exclu en raison de son engagement politique, mais il s’avère être un allié fiable à la fois pour la Chine et l’Inde, en lien avec le récent apaisement dans les relations entre courants chiites et sunnites au sein du Golfe arabo-persique.
Le choix de l’Éthiopie est notable et montre la volonté d’incorporer davantage l’Afrique subsaharienne, en considérant que le Nigeria avait longtemps hésité à présenter sa candidature. Historiquement non-alignée, l’Éthiopie est étroitement liée à la Chine, mais elle est aussi en conflit avec l’Égypte concernant le partage des eaux du Nil en raison du barrage de la Renaissance. Cela permettra de tester la capacité de l’institution à résoudre des divergences internes. En Amérique latine, le Brésil a opté pour un partenaire régional en invitant l’Argentine, qui avait manifesté son intérêt pour l’adhésion. Cependant, les Brics ont exclu les acteurs très critiques envers l’Occident, comme Cuba et le Venezuela, bien que ces derniers aient montré un vif désir de rejoindre le groupe. À ce stade, il n’y a pas d’expansion vers l’Asie, bien que l’Indonésie soit un sérieux prétendant. Il est probable que les Brics empruntent la voie de l’Union européenne, où une expansion rapide peut générer des problèmes. L’objectif est d’éprouver le fonctionnement du groupe avec plus de membres en premier lieu, tout en évitant d’être perçus comme une coalition anti-occidentale.
Dix-sept autres pays sont officiellement en considération, avec environ quarante exprimant un intérêt. Est-ce que cette tendance à l’expansion se maintiendra dans les années à venir ? Il est difficile d’imaginer que des pays influents resteront en attente pour une période prolongée. Il est probable que les Brics accueilleront à court terme des membres comme l’Algérie, également leader des non-alignés, le Nigeria, nouvelle puissance africaine, voire l’Indonésie, le quatrième pays le plus peuplé au monde. Cependant, il est peu probable qu’ils acceptent des pays tels que Cuba et le Venezuela. Une telle démarche serait considérée comme une provocation envers les États-Unis pour un bénéfice relativement mineur.
La possible conception d’une monnaie commune ?
Le développement d’une monnaie commune, principalement promu par la Russie, n’a connu que des avancées limitées. Selon la déclaration finale du sommet, les Brics ont d’abord l’intention d’accroître l’utilisation des monnaies locales dans les transactions financières : l’Inde utilise déjà les roupies pour les paiements liés au pétrole russe, et la Chine commence à adopter le yuan pour régler ses achats de pétrole en provenance de l’Arabie saoudite. L’idée d’une monnaie commune, envisagée comme une étape ultérieure pour réduire la dépendance au dollar, viserait à équilibrer les flux monétaires entre les pays.
Le concept central ici concerne la « dédollarisation ». Il est évident qu’à l’heure actuelle, particulièrement les pays du Moyen-Orient, aspirent à diversifier leurs réserves financières. Ils redoutent que si les États-Unis entravent leurs objectifs politiques, l’Occident puisse prendre des mesures similaires à celles appliquées à la Russie, impliquant la saisie de leurs actifs et le blocage des systèmes de paiement. Du point de vue économique, il n’est pas sage de dépendre exclusivement d’un seul marché. Actuellement, 92 % des réserves de l’Arabie saoudite sont libellées en dollars.
Le G7 doit-il voir les Brics en tant que rival géopolitique ?
Malgré les débats qui l’entourent, il est indiscutable que les Brics ont émergé en tant que contrepoids au G7. Au fil du temps, leur sommet annuel a métamorphosé en une plateforme de premier plan, préparant le terrain pour le G20, dans le but de forger une position unifiée parmi les nations en développement. Cependant, les préoccupations des Brics demeurent principalement d’ordre économique. Le communiqué final aborde rarement les enjeux politiques et accorde à peine une attention aux sujets tels que le conflit en Ukraine.
En contraste, le G7 s’est profondément penché sur cette question. La prééminence est clairement accordée au pragmatisme au sein de ce groupe, dont l’existence pourrait sembler improbable étant donné les relations tendues entre l’Inde et la Chine, entre autres. Ces nations n’ont que peu d’affinités, excepté un objectif central : rééquilibrer l’ordre économique mondial en leur faveur.
Author: Christopher Rice
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